A propos du rapport BENISTI ’’de la langue maternelle à la délinquance infanto-juvénile’’(janvier 2005)
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DE LA LANGUE MATERNELLE
A LA DELINQUANCE INFANTO-JUVENILE !
En Octobre 2004, M Bénisti a remis à M Villepin le rapport préliminaire de la commission de prévention contre la délinquance qui affirme clairement la volonté de mettre en œuvre « une prévention non plus fondée sur le simple aspect caritatif et social mais sur une politique d’intérêt général et de résultats » Après avoir auditionné un certain nombre d’experts, la commission s’est livrée à une analyse quelque peu étrange des facteurs censés conduire inéluctablement l’enfant vers la délinquance. Ainsi nous découvrons avec stupeur que le bilinguisme compte parmi les plus importants. Passant sans état d’âme de la notion de variation linguistique à celle de déviance comportementale par un saut qualitatif dont nous admirerons la dextérité sémantique, les auteurs, mus par le noble souci de la prévention précoce demandent aux enseignants et aux travailleurs médico-sociaux de traquer dés le plus jeune âge les stigmates de la langue maternelle chez les petits enfants. Le rapport précise tout de même que : le bilinguisme est un avantage pour un enfant sauf lorsqu’il a des difficultés car alors cela devient une complication supplémentaire, il faudra alors faire en sorte que l’enfant assimile le français avant de lui inculquer une langue étrangère. » Ouf ! Que tous les parents anglophones ou germanophones, industriels et hauts fonctionnaires européens se rassurent. Cette mesure ne touchera pas leurs tendres bambins dont l’habileté linguistique fait l’admiration de tous. C’est le langage des pauvres qu’il faut éradiquer, le dialecte des migrants qui ont envahi les cités, celui que les auteurs du rapport épris de belles lettres préfèrent qualifier de « patois » que de langue. C’est aux enseignants de choisir dans quelle langue les parents doivent s’adresser à leurs propres enfants ! Cette nouvelle fonction réduira certainement la fracture entre les parents et l’école ! Heureusement, les auteurs semblent ignorer que l’apprentissage du langage est un processus qui commence bien avant l’acquisition de la parole et que la langue maternelle est, et restera celle qui a baigné l’enfant dés le début de sa vie. Sinon, il faudrait peut être que les travailleurs médico-sociaux battent la campagne pour soustraire les enfants à l’influence pernicieuse de leur mère non francophone ou récalcitrante. Pourtant de nombreux travaux ont montré l’importance de la langue maternelle comme vecteur essentiel des échanges affectifs et émotionnels entre la mère et le bébé, indispensables à l’étayage psychique et à la construction de la personnalité de l’enfant. En terme de prévention, favoriser ces liens précoces, c’est éviter les dysfonctionnements ultérieurs. Entre parents et enfants, c’est la qualité des échanges qui compte, et non la langue qui les supporte. Comment peut on demander à des parents d’éduquer des enfants et de leur transmettre les valeurs essentielles à leur socialisation dans une langue qui n’est pas la leur ? Au-delà de la langue, c’est la parentalité même qui est attaquée alors qu’elle devrait être soutenue. S’il ne convient pas de nier l’existence de problèmes éducatifs voir de délinquance dans certaines zones d’habitation appelées pudiquement « les quartiers », on ne peut raisonnablement en imputer la responsabilité au bilinguisme ! Les auteurs ne veulent pas savoir que ces difficultés de ces enfants sont liées à la situation sociale de leurs parents en proie aux difficultés de l’exil, de l’isolement et de la précarité. S’il est des actions à développer, elles doivent se construire autour de l’aide à apporter à des parents souvent désemparés pour leur permettre d’ affirmer leurs compétences et les accompagner dans le difficile étayage éducatif d’ enfants écartelés entre plusieurs systèmes de valeurs. La nécessaire éducation à la citoyenneté et aux principes républicains ne peut se faire sur des enfants isolés de leur groupe familial qui, électrons libres de notre système, sans repères ni limites, la consommation pour toute valeur, peuvent devenir potentiellement dangereux pour eux et pour les autres.
Les enseignants savent bien que ce n’est pas le bilinguisme qui est en cause dans les difficultés des enfants, mais une mauvaise connaissance de la langue française, ce qui est fondamentalement différent. A l’école, il faut tout mettre en oeuvre pour que les enfants de toutes origines et de tous milieux puissent acquérir cette maîtrise car sans elle, ils ne peuvent intégrer le fonctionnement de la société avec ses règles et ses possibilités, et à terme ils risquent de développer des réactions de défense voir de violence. Si on veut mettre en œuvre une prévention efficace, il faut donner aux enseignants, dont c’est la première mission, les moyens et la formation d’accomplir cette tâche.
S’il est un intérêt aux douteuses expériences de discrimination positive, c’est bien celui de montrer comment des jeunes de milieux défavorisés, admis dans les grandes écoles auxquelles ils n’auraient pu accéder par concours, obtiennent rapidement d’excellents résultats. Il ne s’agit pas de multiplier ces mesures qui ne bénéficieront qu’à quelques élèves alibis mais d’en tirer comme enseignement que les jeunes ne sont pas déviants mais simplement symptômes d’un système malade. Autour d’eux, il faut que chaque adulte reprenne sa place, et remplisse la fonction qui lui est dévolue. Il ne s’agit donc pas de « faire entrer les pédopsychiatres dans l’école » comme le souligne le rapport, ni de demander aux enseignants d’imposer la langue maternelle de l’enfant Il s’agit de redonner aux parents leur place avant, pendant et après l’école, de donner aux enseignants les moyens de dispenser leur enseignement avec de petits effectifs, des maîtres de soutien, de développer les réseaux d’aide dans les écoles avec psychologues, rééducateurs, médecins, de promouvoir les actions de PMI, l’accompagnement à la parentalité. Chaque adulte, chaque professionnel, de sa place, peut contribuer à la prévention. Il est bien sûr nécessaire qu’ils échangent entre eux dans le respect du secret professionnel seul garant de la crédibilité de leurs actions, mais aussi de l’éthique de leur profession fondée sur le respect des droits fondamentaux des personnes.
Cette notion de respect des droits de l’homme ne paraît pas préoccuper beaucoup les auteurs du rapport qui, réactualisant la proposition imaginée par M Sarkozy, préconisent « de créer une culture du secret partagé » et de développer une politique qui relève plus du contrôle social et du harcèlement que de la prévention . A cette fin, le maire deviendrait le dépositaire incontournable de la moindre information sur les familles à risque glanée par les acteurs de la prévention dans l’exercice de leurs missions. Au nom de quelle compétence, quelle légitimité, le premier magistrat de la commune serait ainsi promu au grade de shérif prêt à pourfendre toute déviance de l’enfant, dés l’utérus si nécessaire ?
Les soupçonnant d’être auxiliaires de la police et potentiellement dénonciateurs, les familles en difficulté ne viendront plus ni consulter dans les services de PMI, ni se confier aux assistantes sociales, et les jeunes fuiront leurs « indi-éducateurs » L’effet ne se fera pas attendre, la délinquance et les situations de maltraitance augmenteront, justifiant un contrôle de plus en plus renforcé et des mesures de rétorsion de plus en plus musclées. Ce rapport préconise en fait la mort d’une politique de prévention prenant son inefficacité pour prétexte. Pourtant quand une prévention fondée sur l’accompagnement dans le respect des personnes est exercée par des personnels soutenus dans leur tâche difficile par des moyens adéquats, nombreux sont les enfants qui échappent à ce qui semblait la fatalité de leur destins. Mais, ces situations qui s’améliorent, ces parents qui reprennent confiance, ces jeunes qui vont mieux personne n’en parle. C’est moins juteux pour l’audimat ! Il faut dire, que depuis quelque temps, c’est plus difficile ; le social ne peut pallier à une politique qui laisse de plus en plus de gens sur la touche, qui restreint l’accès à un revenu minimum, à la santé, au logement …. La paix sociale n’est plus garantie, alors il faut passer à la répression et faire taire ceux qui souffrent.
Il y a certainement eu une erreur de sujet. La commission ne devait pas traiter de la prévention contre la délinquance, mais de la chasse aux pauvres, aux exilés, aux délinquants du premier âge, aux acteurs de la prévention, aux enseignants, peut-être même à la pensée. Dans ce cas là la copie mérite la meilleur note. Devant une telle compétence, une dernière question aux auteurs me taraude : « Quelle langue parlait on chez vous ? »
Christine BELLAS-CABANE
Présidente du Syndicat National des Médecins de Protection Maternelle et Infantile